Dans l'antre de Garrigue
J’ai connu hier le privilège glorieux d’entrer dans la garrigue, par une sorte d’arc de triomphe arasé, constitué de deux gigantesques cairns qui encadrent en majesté le chemin, et j’y ai ressenti des intuitions profondes et superbes.
C’était là. J’entrais dans La Garrigue. J’ai tout de suite aimé son insolence, sa sèche barbarie, sa belle effronterie. Se poser là, près d’elle, en elle.
Et faire longuement l’amour avec elle dans le lit de la nuit inquiète.
C’est avant l’aurore. Je somnole encore, dans ma petite mort. Des milliers d’oiseaux tout autour. Il faudrait que j’apprenne leurs chants. Le coucou ne fait pas « coucou », comme on le dit, mais plutôt « bapou », il faut rectifier les livres d’enfant.
Quand le soleil de six heures invente l’horizon des Alpilles, je comprends, comme l’amant d’une seule nuit, que le charme va se rompre mais que Garrigue me laisse encore le temps de me sauver vers les vallées des hommes. Va ! Ne traîne pas en route, petit, je te donne un répit, ne te retourne pas !
Plier le bivouac, atteler la carriole, reprendre la route.
Le sablier s’écoule encore quelque temps avant de rejoindre Lodève. Le chemin devient mauvais. A un moment, le dernier grain de sable tombe, et le sol se fait arène cabossée : des armées d’asphodèles géantes se mettent à jaillir partout de la pierre en décomposition. J’ai compris. Là est la porte, l’autre arche symétrique à celle d’hier soir, et je dois à nouveau la traverser. Le signe.
Adieu, amazones d’Affodil, gardiennes de Garrigue, Ô servantes enviées ! Je m’en vais maintenant, sans me retourner, promis, par le mauvais chemin qui descend sur la ville.
Ça brinquebale, ça cahote, ça fait mal aux épaules. Tiens, un écriteau de bois, joliment fait : « les arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure de la terre… ». Rousseau, toujours. C’est un sentier botanique.
Autoroutes, carrefours, ruines, containers à tri sélectif. Au milieu, un panneau : « Fontaine d’Amour »
Lodève se réveille dans la torpeur et l’ennui. Personne ne sait que là-haut, les déesses s’ébrouent.