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MIGRANTS

Par des sauts de puce de petite route en piste agricole, il faut finir la traversée du Perche vendômois en direction du Mans. Paysages ternes, langueur des champs de céréales et de colza dans la grisaille. Tiens, on commence à vendre « Ouest-France », bon signe. Un peu partout, on fait les foins sans trop y croire. Quelques vieux villages, heureusement, pour sortir de la léthargie : Saint Jacques des Guérets, Trôo, croché sur la falaise : les églises romanes désertes sont taguées de fresques. Malgré ma foi fort peu catholique, j’ai toujours grande attirance pour ces représentations sacrées, longtemps cachées sous les badigeons.

Les visages, en particulier, des saints, des apôtres, tellement fragiles, tellement humains, si proches du quotidien, si intemporels : ils semblent fatigués, un peu hâves, comme s’ils avaient fait eux aussi une longue route. Huit cent ans, quand même. Ce sont ceux de voyageurs, de migrants du temps. Je les connais. Je les vois souvent aux actualités.

A Trôo, le puits qui parle, une sorte de cornet acoustique qui s’enfonce sous terre et renvoie la voix de son maître.

Comme un niais, je murmure à la margelle « Courage ! » il me répète « Rage, âge, ge ». Merci, ça va, j’ai compris. J’aurai donc la force d’avancer, malgré mes guibolles douloureuses, à mon rythme désormais, loin de mes premières cavalcades.

Dérisoire face aux souffrances de ceux qui fuient vraiment.

Je suis le traînard des ornières, le lambin des sentiers, mais moi j’ai l’avantage de pouvoir prendre mon temps.

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