Essurer les feuilles, inventer un jardin...
Il n’y a plus d’abbaye à Tuffé.
En vérité, il n’y a que peu de vestiges, mais il reste l’essentiel : sa mémoire. Une travée de cloître, un haut bâtiment tranché comme un décor de théâtre, quelques arcs alternant la brique et la pierre blanche, un dessin (ou bien dessein ?) général qu’on comprend assez vite : ici depuis le moyen-âge, on a travaillé, façonné le paysage, défriché des forêts, installé des fermes, creusé des étangs, peuplé des viviers… et prié Dieu à l’occasion. Ces moines étaient plutôt des hommes de labeur que de saintes personnes.
Qu’on ait aujourd’hui réinventé leurs jardins, sur lesquels on sait peu de choses, pourrait sembler une imposture. Pourtant l’esprit dans lequel l’Association des amis de l’Abbaye de Tuffé les a rêvés, est en cohérence avec les valeurs de travail, d’innovation et de foi que portaient les religieux.
Comme eux, ses membres, dont quelques-uns sont gentiment venus à ma rencontre ce matin, et m’ont amené jusqu’ici par des chemins connus d’eux seuls, ne manquent pas d’audace : ils ont composé de nouveaux espaces, évoquant le jardin abbatial, le potager, l’Eden perdu, le promenoir à méditations, et ainsi fabriqué de toutes pièces une machinerie imaginaire qui transporte le visiteur dans l’univers poétique et spirituel du monde monastique. Debout, les moines !
Des bribes de poèmes ont poussé dans les parterres, ce qui est plutôt rassurant, et traduit un sain équilibre entre le sol et la pensée. Sous le haut catalpa cuirassé de fleurs, le robinier qui monte au ciel, et l’ombre des promesses de pommiers anciens, je promène à mon tour mes étranges histoires de plantes devant les spectateurs.
Un bien agréable moment de partage et d’échange, où j’apprends que le verbe « essurer » désigne, en langue du Maine, le fait d’effeuiller une branche à rebrousse-feuilles.
Rien que pour apprendre cela, j’ai eu raison de venir à Tuffé ! Merci à cette belle association de passionnés pour leur ferveur, pour m’avoir accueilli avec tant de générosité, et pour avoir convié le public à cette belle rencontre !