Tofu
Peu à peu le Vercors s’effiloche, le Vercors se finit. A la fine pointe du dernier promontoire, la croix de Velan marque la fin de la carte et du territoire. Maintenant c’est la falaise frontière, brutale, injuste. Au-delà, d’un coup, c’est le Sud et la méditerranée. Oubliés, les prairies couvertes d’orchis-bouc de narcisses et d’ancolies, place dans la pierre blanche aux jaillissements d’aphyllantes, aux genêts senteur cacao et et aux déferlements de thyms sauvage. Vercors m’aura beaucoup donné en quelques jours : au nord, ses remparts fortifiés, puis ses trop riches prairies d’Autrans, les tourmentes des Coulmes, enfin les brumes erratiques et tragiques d’hier : autant d’heures fortes déjà refermées, de moments puissants et secrets, à conserver cachés comme les eaux de ce pays. On dit Vercors et l’on doit se taire, Vercors est silence, silence de la mer.
Nous croisons un groupe de randonneurs joyeux et sympathiques, à la recherche de la détoxication intérieure, au travers d’un exercice en apparence singulier et contradictoire : la pratique simultanée de la marche à pied et du jeûne. Pour moi, simple promeneur hédoniste, le plaisir de marcher et celui de manger sont terriblement liés et indissociables, même si je traverse souvent sur les sentiers des moments de privation : on sait qu’à l’étape viendra le temps de mettre en fête, grâce aux vertus réparatrices, roboratives du repas et de tout ce qui l’accompagne : un sourire, l’histoire que raconte un pain, un vin ou un fromage, le cadeau fait à son corps. Ces pèlerins à bouillons et tisanes sont-ils des pénitents, des chercheurs de lumière ou d’absolu, ou bien de simples buveurs de paroles ?
Parfois je les envie, de suivre ces chemins de renoncements. J’en serai bien incapable. L’important est que chacun y trouve son équilibre, sa liberté. Surtout sa liberté.
Mais il y a des signes : à notre grand dam, ce soir à Beaufort-sur-Gervanne où nous dormons après l’étape, aucun estaminet, aucune gargote ni auberge n’est ouverte. Ce sera donc jeûne et réflexion intérieure dans notre chambre d’hôtel Nous avons certainement beaucoup pêché, Jérôme et moi, et le destin s’est vengé. Et toc ! Il ne faut pas se moquer de ceux qui tentent d’autres chemins.
Enfin, en douce, nous avons réussi à dégoter un pack de bière et une salade de Tofu dans une épicerie associative qui sentait le sésame, le gingembre et la recherche intérieure.
Ce soir, cela va être fête !
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