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Camp de base

Pour cette première étape, j’ai atteint en quelques secondes la berge du torrent-surprise : Son lit, profitant d’un instant de calme, dessine à l’approche du chalet un méandre gracieux long de trois pieds à peine, une courbe rassurante comme un sein de femme, et ses eaux temporaires déposent en son concave les marnes et les sables issus de la falaise, formant au cours des ans une banquette d’argile presque plate, recouverte d’une décence d’humus. Sur chaque rive, deux arbustes, un sureau et un saule, plongeant leurs racines dans les marnes toujours humides, se répondent, et sans aucun doute se morigènent, forcés de vivre face-à-face, eux si différents : je me souviens que l’été, ils forment pourtant une arche harmonieuse qui enjambe le ruisseau. J’imagine que mélanger leurs feuillages ne pourtant doit pas leur plaire. Le saule, d’ailleurs, l’arbre des immenses consolations, en est tout torturé : du tronc jusqu’au bout de ses brindilles, il s’entortille comme un jeune homme timide, lui, si précieux, si tortueux face à la brute fort peu dégrossie, le sureau d’en face. Celui-ci est un rustre, une canaille pas très catholique, dont on prétend qu’il a servi de gibet à Judas, ce qui me semble une imposture vu la souplesse de ses branches : rapidement, le plus traître des apôtres a dû se retrouver les pieds sur terre ! L’arbre-vaurien pavane, s’impose, son écorce claire toute balafrée, tatouée comme un malfrat, alors que celle du voisin d’en face est lisse, tendre comme un imberbe. Sous le sureau, jaillissant de la caillasse, ne pousse que de l’ortie encore naine et la gueuse mercuriale, sous le saule se dressent les festons du feuillage de l’ancolie et les élégantes hampes d’azur des scilles à deux feuilles, la prime jacinthe qui sonne le printemps. Mais peut-être cette différence n’est-elle due qu’à l’orientation au soleil ? J’en doute.

J’installerai ici ce soir mon campement, figeant dans mon esprit ces constatations.

Demain, si les Nymphes me prêtent vie, je commencerai à remonter le cours de la rivière, dont les eaux commencent à s’évanouir, car la neige, là-haut, a fondu.

Je n’aurai pas besoin de bottes pour ma quête de l’herbe d’or.

Tant mieux.



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