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Coffin

Etape plus calme aujourd’hui, avec descente de la Vallée de la Bourne jusqu’à Saint Jean, traversée du calme pays du Royans, puis lente et facile remontée en forêt par de bons chemins sur le plateau, jusqu’au Col de la Machine. A Sainte Eulalie, je rencontre Jean, 90 ans : il est en train de faucher un grand talus à la faux. Je l’ai repéré depuis le bas de la côte, et un peu voyeur, j’ai ralenti pour mieux observer l’élan, l’art, la belle cadence du vieillard sur la pente. Pépite du temps disparu, en noir et blanc. Qui sait que l’étui de la pierre à aiguiser se nomme un coffin ? Il l’a posé dans l’herbe, comme un ciboire pendant la messe. Qui connait l’angle exact pour parfaire le fil de la lame? Le vieil homme a le temps. Le geste est sûr et l’acier brille sous le soleil timide. Pour faire semblable travail, hélas, moi j’ai besoin d’un moteur et d’un Rotofil. Pas de nostalgie. Les temps changent. Ce vieil homme qui danse tranquillement avec sa faux, lui, sait domestiquer la Mort. Ici, l’Ankou est tranquille. Merci, Jean. Et moi, saurais-je y faire ? On bavarde des morilles qui disparaissent parce qu’il y a trop de monde dessus, du beau temps qui ne vient pas, et de la pluie, surtout de la pluie qui hésite. Il a plu cette nuit, il pleuviote encore de misère, il neige sur les hauts, et les bois sont pleins de senteurs de mousses, de craies humides et de glaises mouillées. C’est l’occasion, au gré des virages du chemin, d’écraser sous les doigts et de humer fiévreusement pétales et feuilles pour s’imprégner de leurs fragrances : parfums balsamiques des bourgeons d’épicéas, effluves bon marché des grappes des robiniers, subtile attaque verte des casques d’ancolies, coeur de notes lilas des mélisses des bois. Dire que j’ai toujours cru que ces dernières étaient olfactivement muettes ! Nigaud ! Tout un monde d’eaux florales et d’élixirs précieux et éphémères à approfondir, comme une grammaire à toujours réapprendre.

Il n’y a plus de Machine au Col du même nom. Le treuil manuel qui servait à descendre le charbon de bois du haut des falaises vers la vallée, a été abandonné au début du XIXème siècle.

Tout disparaît, Jean.

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