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Commando

J’ai toujours eu hâte de quitter le fond des vallées. La vallée, l’enfer, la zone. Commerciale, industrielle, beuglante de camions et d’échangeurs : ici pas de place ni pour le promeneur, ni pour le clandestin, réduits à guetter la hargne des moteurs et à sauver leur peau derrière les glissières de sécurité. Une heure de stress dans le petit matin, en Voreppe et Sassenage. Moi j’ai de la chance, j’aurai un lit pour dormir ce soir. Pas Hachem ni Fatoumata. Une claque. Même les herbes des bords de route semblent fatiguées par les insultes et les débris qui les souillent. Fuir. L’échappatoire est à Noyarey, au pied des falaises. Toujours les mêmes débuts de chemin pour quitter le cloaque : des tôles oubliées, des barbelés, des tuyaux, des tas de bois moussus qui ne connaîtront jamais la cheminée, et puis, assez vite, la paix : les hommes arrêtent rapidement de prétendre s’approprier les pentes. Monter. Trouver sa cadence, son inspiration. Je craignais d’avoir perdu mon souffle de jeune homme, l’outil d’endurance que par chance m’avait laissé le sport. « Emphysème », avait annoncé le Docteur, résigné. « Que voulez-vous, c’est l’âge ! ». Je l’emmerde.

Pour le moment, il faut m’élever, tout doucement, sans halte, sans m’essouffler, sans me perdre. Surtout sans me perdre. De vieux chemins sans balises, des chablis partout, et des barres rocheuses sans pitié. Carte, point GPS, les tracés sont erronés parfois, deux ou trois plantages, je recule, je repars et finalement, je trouve ce « Chemin des bœufs » dont l’Institut Géographique National se souvient à peine. Je veux rejoindre le Tunnel du Mortier, ouvrage routier abandonné, qui me permettrait d’accéder au Plateau, et qu’on m’a dit interdit, ou en travaux, c’est imprécis. Ce qui m’inquiète, ce sont ces explosions, ces coups de feu réguliers dont l’écho inonde la montagne depuis deux heures. Des chasseurs ? Ce n’est pas l’automne. Des artificiers, effectuant la purge des falaises ? Ça y ressemble, hélas. En tous cas, la musique vient du Tunnel. Si des travaux sont en cours, la porte sera close et je devrais m’en retourner. Craintes énormes. 1200 mètres de dénivelée pour rien ! je m’approche. En fait c’est la guerre, et le tunnel est privatisé ce matin par l’Armée Française comme terrain d’exercice. « Cessez le feu ! », j’entends qu’on hurle à mon approche, et les armes des soldats se taisent. Je négocie la traversée de la falaise avec l’Officier supérieur, en vérité bon enfant. Cinq cent mètres sous terre, la liberté au bout ! Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’à la fin de la nuit, une autre moitié de l’escadron m’attend, et me voilà, terroriste-botaniste, devenu cible virtuelle d’un commando de libération. J’approche, héroïque. J’agite mon bâton, et crie, la voix blanche, « Ne tirez pas ! ». Ridicule. Et je sors, majestueux et pitoyable, dans la belle lumière de l’autre côté, cerné par la soldatesque en tenue camouflage, braqué par les les Famas, comme dans un film américain. Gamin, je croyais ressembler à Steeve Mac Queen. Ce midi, c’est fait.

Alors je me laisse rouler jusqu’à Autrans l’Endormie, poussé sur les pistes de ski herbues par le glacial vent d’Est qui m’accompagne depuis le départ. Je suis en Vercors. La Grande Evasion, c’était mon film préféré.




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