Dom Juan
Sans vergogne et sans humilité aucune à la manière de Chateaubriand : « Le printemps dans la garrigue drômoise est plus sec que dans les monts du Dauphiné. Les cinq plantes qui l’enchantent, l’aphyllante, le genêt, l’immortelle, le lin et l’orchidée, détonent de leurs fleurs sur les rocailles brossées par le vent magistral enfanté depuis le Mont Pilat ». Au delà de Dieulefit, la pierre se fait lauze, le sentier se désarticule et se brise en tessons qui sonnent, et la nature entre en survie : les feuilles se font épines, les arbres rabougrissent, les chênes deviennent verts et durs à la manière de houx malingres, les thyms explosent en grappes de lourdes senteurs, comme s’il fallait danser en urgence au grand Bal d’avant la fin du monde. Déjà les ophrys tournent du sourcil, les lychnis aux fragiles corolles chiffonnent du panty, et les pédiculaires enchevêtrent leurs longues gousses pour former d’inquiétantes figures. Quelle étrangeté de retrouver ici des aristoloches, cousines de celles qui ne poussent que sur les levées de la Loire !
C’est à ce moment là que j’aborde la montagne de la Lance, heureux comme un novice à la fin d’une longue retraite. Demain, sur sa crête, si le temps n’est pas à la brume, je devrais être en vue de la Montagne Promise, celle dont le souvenir me poursuit depuis l’enfance, où je veux un matin, comme autrefois, faire de mon regard se lever le soleil et demander pardon. Ventoux : le mot commence en tourmente et puis se cache, s’éteint comme s’il en avait trop dit. Je dis Ventoux et je l’entends qui hurle, je dis Ventoux et je le sens qui m’écrase et me lamine, je dis Ventoux et puis c’est le silence. J’approche. Plus que trois jours avant d’aller baiser son pied. Comme Dom Juan marchant lentement vers la statue du Commandeur, en souhaitant que mon endurcissement au pêché n’entrainera pas une mort funeste... Si c’est le cas alors, gardez pour moi, s'il en reste encore, en variant les couleurs, un bouquet de ces fleurs qui bordent les sentiers.
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