MUSIQUES ET FINAL
Finies les crêtes ardentes et cruelles de la veille ! J’ai besoin aujourd’hui de paix.
Je veux des forêts fraîches, et me faire caresser par les feuilles, entendre les musiques sauvages des ramures sous le puissant mistral. Ah ! la symphonie des bois ! Ce matin, je vais être servi ! Sur le chemin, ça commence par le discret chuchotis des sorbiers, dont le feuillage fin laisse filer le vent comme les plus fines cordes de la harpe. Fragile mélodie, à laquelle il faut prêter l’oreille, car bien vite elle disparaît sous la puissance écrasante du mouvement des châtaigniers, arbres emblématiques de l’Ardèche en basse altitude. D’abord un vigoureux murmure, puis rapidement la chorale s’élève en un fol mouvement où les branches se cognent, et les larges feuilles se fouettent en vacarme. Comme dans une cantate de Bach, le chant se dresse, s’exalte, s’envole et emporte le promeneur mélomane. Et, s’il fait quelques pas de plus, il rencontre une sapinière, et là c’est une autre houle, plus profonde et plus noire, une sorte de tempête sourde, qui ondoie les pesantes branches en un flot wagnérien. Tout est là, entre crépitements et grandes colères. Et je marche, et je m’arrête, pose mon sac et m’allonge dans la forêt, pour apprécier là-haut la timidité des cimes, chère à Francis Hallé, et me faire porter, comme un enfant, par l’immense chant général. J’ai ressenti la même émotion autrefois, en Bretagne, un jour où, par hasard, je me suis trouvé au milieu du Bagad de Bourbriac, à l’instant exact où, inexorable, s’élève le souffle des binious. Être vivant ici, rester immobile, suspendu entre terre et ciel, racines et feuillages, enivré par la musique du Grand Tout !
Encore quelques heures de marche, puis c’est la fin du massif. Interminables sentiers de caillasses le long des « serres », et je dégringole, soûl de fatigue et d’émotions vécues, jusque dans la vallée du Rhône. Saint- Perray, ronds-points, enseignes commerciales, et trottoirs d’ennuis. En face, Valence. Je traverse le fleuve.
Il vente encore plus fort.
Quelques jours, j’ai rêvé.
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